De Goya à Chillida, des monstruosités à l'écoute de la pierre
Publié le 13 Octobre 2008
D'un bloc de granit, Chillida fait une oeuvre.
Sans doute aurez-vous découvert les formes irrégulières à l’extérieur et la rugosité du fini, qui donnent un aspect très naturel à la pierre. Eduardo Chillida travaillait les matériaux, extraits de la nature, avec un très grand respect et il s’efforçait de dialoguer avec eux au lieu de vouloir les soumettre totalement.
Le naturel de l’extérieur contraste avec le travail de l’intérieur, où l’on distingue clairement la main de l’artiste. Le granit est l’une des pierres les plus dures présentes dans la nature, d’où la nécessité pour l’artiste qui souhaite travailler ce matériau d’employer le marteau hydraulique pour réaliser les ouvertures et, pour les derniers polissages, un outil à base de diamant.
Dans la perspective de la création d'une seule entité muséale et comme je l'avais annoncé, je
vais examiner les blocs en présence et montrer comment on peut les faire s'exprimer, prendre forme, comment ils le peuvent aussi par eux-mêmes, ce qu'une pierre ne peut.
Précisons d'emblée que la charte du projet RIMUS a été esquissée par le Conseil communal (CC) aux quatre commissions réunies dans le salle de l'Hôtel de Ville le 6 juillet 2007. En janvier 2008, elle a été signée par les conservateurs, Francine Evéquoz, cheffe de projet (FE) et les membres du comité de pilotage (COPIL) : Jean-Pierre Veya (JPV), Laurent Kurth (LK), Pierre Hainard (PH), Jean-Daniel Jeanneret (JD) et Ioana Niklaus (cheffe du personnel communal, IN). Son objet était de "formuler un concept pour la création et la réalisation d'une entité regroupant les 3 musées du parc et le cas échéant le institutions zoologiques".
Les blocs en présence sont au nombre de 4 :
- le bloc de basalte Conseil communal
- le bloc de marbre COPIL
- le bloc de granit Francine Evéquoz
- le bloc de lave des musées
Le bloc 1 : le bloc de basalte Conseil communal
Ce bloc met en jeu le motif de la gouvernance. Un principe semble avoir guidé le CC : ne pas s'appliquer à soi ce qu'il voudrait que les autres appliquent à lui. Il a agi avec les conservateurs et les commissions comme il ne voulait pas que le Conseil d'Etat agisse avec lui. Rappelons quelques phrases du communiqué de presse des communes neuchâteloises : "Le report des charges est inacceptable parce qu'aucun processus d'échanges et d'informations entre l'Etat et les communes n'a été mis sur pied au préalable. Il reflète un mode de décision et de communication que les communes ne peuvent plus accepter de la part de l'Etat (...) Il est inacceptable car il ne correspond absolument pas à l'esprit de concertation annoncé par le Conseil d'Etat entre les différents partenaires dans le cadre du RUN."
La pesanteur inerte et contre-productrice (dans les rapports CDF-Canton, CDF-Le Locle) de ce basalte-là peut se résumer à un syndrome inédit : le syndrome de la flagellation. On est flagellé, on flagelle et on s'auto-flagelle. C'est le CC en martyr martyrisant.
Comment alors donner forme à cette pierre d'achoppement, cette masse syndromisée qu'est notre exécutif ? Il faut, et il a l'a partiellement compris dans la pénitence de la conférence de presse du mercredi 8 octobre : revenir à l'écoute et au dialogue mais aussi éviter de se poser en victime mal comprise. Que le CC construise l'oeuvre muséale en abandonnant la structure pyramidale au profit d'une création plus participative. Ou alors, s'il aime les obliques, qu'il les trace entre l'horizontal et le vertical. Comme Chillida que vous voyez au-dessus, avec ses blocs en dialogue.
Le bloc 2 : le bloc de marbre COPIL
J'ai le privilège de connaître Laurent Kurth depuis 25 ans et Jean-Pierre Veya depuis une quinzaine d'années. C'est dire que leur état marmoréen ne m'est pas caché. Formé en outre de Pierre Hainard, conseiller communal UDC, le COPIL compte aussi la présence de l'architecte du patrimoine Jean-Daniel Jeanneret et la cheffe du personnel communal Ioana Niklaus. JDJ a occupé pendant quelques mois un 20% de poste comme delégué culturel lié aux musées après le départ de Hughes Wulser. Désespéré par l'attitude peu sculpturale du MIH et du MBA, il a démissionné pour se consacrer à l'inscription Unesco
Eprouvons donc le poids de ces masses pierreuses en commençant par le Président du Conseil communal, président du COPIL et chef du dicastère des Affaires culturelles, Jean-Pierre Veya.
La pierre Jean-Pierre
En lui, la matière résistante, c'est ce que j'appellerais l'opacité de la transparence et la transparence de l'opaque.
Humainement magnifique, un homme au grand coeur, JPV veut être souvent si transparent qu'il oublie parfois de l'être vraiment. Il s'enfonce dans la glaise de l'opacité. Ainsi c'est lui qui n'a même pas informé les conservateurs du calendrier retenu pour porter RIMUS sur les fonts baptismaux (séance de présentation au personnel le vendredi 26 septembre suivi d'une conférence de presse). Lada Umstätter a appris par une journaliste de L'Impartial qu'il y avait ce point presse. Il a fallu une réaction énergique le mardi 23 de Catherine Corthésy, présidente de la commission du MBA, pour que les conservateurs, dans l'heure qui a suivi, soient informés.
Pis encore, la déléguée aux Affaires culturelles, Daniela Agustoni Steiner, n'a nullement été consultée ou associée. Elle a reçu RIMUS le vendredi de la conférence de presse. L'annonce de postulation du CC (29 juin 2007) indiquait pourtant que le directeur des musées devait collaborer avec la déléguée culturelle. A force d'être opaque avec Daniela, JPV a fini par la blesser aussi.
La transparence de l'opaque, c'est l'autre pesanteur de JPV : quelles limpidité, netteté, sincérité, évidence de ses contradictions, les siennes comme d'ailleurs celles de tout le CC. JPV jure que le CC ne sera jamais ni Jdanov ni Goebbels et pourtant il a osé une intrusion politique dans les choix culturels du MBA, suprême contradiction non dialectisable.
Cet exemple est cruel pour JPV et le CC : lors de la commission du MBA de fin août, Lada U., en vain soutenue par les commissaires, n'a pas pas eu le feu vert pour organiser en 2010 une exposition rétrospective de Claude Loewer, le maître neuchâtelois de l'abstraction du XXe siècle. Ce n'était pas le moment, il fallait que le CC ait une vision globale des autres expositions et patati et patata. Du jamais vu pour nous, les commissaires bénévoles depuis des lustres.
Cet épisode est une parfaite et véridique (tant pis cette fois pour le secret de fonction des commissaires) illustration de ce que la directrice des musées aurait pu imposer si le CC n'avait pas fait marche arrière : le planning des expositions, leur choix en fonction d'une sombre stratégie méconnaissant absolument le contexte culturel. Quel gâchis !
JPV peut se transformer, la pierre peut se sculpter : prendre en charge la direction du projet vu son moins grand nombre d'activités depuis qu'il ne s'occupe plus de la gestion de l'hôpital. En réunissant les conservateurs au moins une fois par semaine une heure dans son bureau, autour d'un café-croissant, il peut diriger en déléguant, être enfin net, clair, avec l'autorité qui lui manquait jusqu'à ce jour, parce que je soupçonne que c'est un popiste pour qui la notion d'autorité est suspecte. Il a reconnu lui-même que le "processus participatif" qu'il avait initié avec les musées avait échoué et c'est une des raisons qui a poussé le CC à choisir la voie d'une cheffe des musées. On voit l'impasse dans laquelle il s'est fourvoyé.
La pierre Laurent
Je connais LK depuis 25 ans, depuis 1983 où il était dans ma première classe de maturité à l'Ecole de commerce. La visite de l'exposition des monochromes d'Olivier Mosset l'a peut-être heurté durablement, le fait est que sa pierre d'achoppement, cette matière encore difficilement sculptable par lui (et pour lui par les autres), c'est l'autoritarisme gestionnaire, la rhétorique politicienne et la précipitation. En bon calviniste, il est toujours prompt d'ailleurs à reconnaître ses pesanteurs. C'est pour cela que je l'estime.
Qu'un socialiste veuille, presque 100 ans après l'affaire L'Eplattenier, remettre un peu d'ordre gestionnaire dans ce monde artistique et culturel, voilà ce qui n'a pas surpris Raymond Spira dans une éclairante contribution au blog sauvonslesmusees. Passons.
LK est un excellent politicien, produit d'une veine marmoréenne éprouvée : le socialisme à la sauce neuchâteloise, touillée par la cuillère en bois qui flatte la langue. C'est ainsi parfois, hélas, la politique politicienne, la rhéthorique pour la rhéthorique parce qu'il faut bien dire quelque chose, parfois aussi l'entêtement (le vice de l'obstination) qui finit par figer la pierre. Le rapport "n'est pas le meilleur que le CC ait produit ces dernières années" nous écrit Laurent. Sublime litote qui écrase tout envol de la pierre. A la question de savoir si, comme le voulait la postulation, FE a "un esprit d'équipe et de concertation marqué", LK répond à L'Impartial le 27 septembre : "C'est un des points sur lesquels Madame Evéquoz nous a convainus". Dans un journal satirique, on retiendrait cette mémorable allégation comme le franchissment du "mur du çon".
LK est aussi impulsif et il se précipite parfois dans les bras des pierres qui noient : interview fracassante accordée à Léo Bysaeth sur les méthodes du Conseil d'Etat (et, singulièrement, de Jean Studer), courrier électronique adressé le dimanche 5 octobre aux membres de la section PS, immédiatement smashé en retour par la contribution de Jean-Martin Monsch, ancien Conseiller communal responsable des affaires culturelles de 1988 à 2000.
Les effets négatifs de ces pesanteurs rocheuses sont un éloignement préoccupant de la réalité du terrain, des femmes et des hommes qui travaillent, des citoyens. C'est le syndrome de la tour d'ivoire (Espacité), très semblable au syndrome du château. Ces effets négatifs sont :
- une perte d'influence cantonale de la Ville et de son conseiller communal,
- des perspectives inquiétantes en vue du maintien du second siège socialiste en 2012,
- un accroissement des difficultés relationnelles avec Le Locle sur le dossier Unesco si on continue de fonctionner avec l'esprit du fils supérieur à sa petite Mère,
- une "lumière peu avantageuse jetée sur une ville candidate à l'Unesco" (cf lettre de l'ICOM au Conseil communal du 13 octobre)
LK sort écrasé de l'aventure par sa propre masse. "On s'est planté" a dit un membre du CC. Je dirais plutôt qu'il n'avait jamais fait prendre l'air à son marbre.
- la culture émancipe et élève l'esprit, même et surtout quand elle dérange;
- "l'élitisme démocratique" (la formule est d'Antoine Vitez) : l'exigence sans concessions mais ouverte à tous (par l'éducation, l'accès facilité aux oeuvres et aux lieux culturels);
- la culture n'a pas à être uniquement "rentable sur investissement";
- la culture est un fertile contre-pouvoir dans une démocratie qui doit assumer ce paradoxe de financer des productions susceptibles de la contester.
Je sais que LK creuse sa propre forme constamment, qu'il est le premier à dire qu'on est parfois "aveuglé au point de ne plus être capable d'être critique au nom de certaines valeurs et de certains modes de pensée". "Cela blesse notre électorat et nos militants" et c'est insupportable pour un socialiste. "Quand on accepte d'être l'autorité, il se peut qu'on dérape, c'est un risque et quand le parti n'ose pas ou n'a pas le pouvoir de dire qu'on dérape, c'est grave."
Voilà qui est dit par moi !
Je connais moins ou même quasiment pas les autres pierres.
Jean-Daniel Jeanneret (Jidé), est architecte plutôt que sculpteur, il maçonne ou démolit les positions du COPIL, je ne sais. Il est sans conteste l'homme de l'ombre, de la discrétion, voire même du silence. Là se marque sa pesanteur, là est la résistance du matériau jidesque. Qu'allait-il faire dans cette galère, lui, l'émérite et infiniment respectable scientifique formé dans une prestigieuse école française de conservation du patrimoine architectural, l'Ecole de Chaillot ?
Tailler dans le vif du moi, c'est au plus vite assumer son engagement de scientifique et expliquer pourquoi RIMUS est intellectuellement indéfendable. D'autres l'ont dit sur le blog sauvonslesmusees. A JD de faire parler la pierre qui est en lui, sans donner trop de coups de perforatrice. Je l'estime beaucoup et, comme il me l'a récemment dit, je ne suis pas loin de penser que l'hystérie ambiante et la confusion générale ne sont pas favorables à l'avenir des musées. Je comprends qu'il veuille préserver à tout prix la place du patrimonial dans les musées, dans la perspective de l'inscription au patrimoine mondial dont il est le bâtisseur. Et j'ai mesuré combien les pesanteurs de certains musées dans l'organisation de Mon beau sapin l'ont agacé, sinon blessé.
La pierre Hainard, il m'est difficile, sans que cela soit pris comme une attaque bassement politicienne, de dire ce qui la plombe : une idéologie anti-intellectuelle et anti-culturelle, une vision trop "rentabilité sur investissement" ? Je lui fais cependant crédit, lui qui voulait fermer un musée, de se battre pour eux tous. Dans le désert UDC, c'est un Pierre qui marque le paysage.
Je ne dirai rien sur Madame Ioana Niklaus.
Le bloc 3 : le bloc de granit Francine Evéquoz
Le but premier du rapport RIMUS est annoncé en page 9 : "le CC a confiance dans le travail qu'a fourni la personne nommée et veut lui donner aujourd'hui la légitimité dont elle a besoin, convaincu qu'elle saura posr les bonnes questions et trouver, avec celles et ceux qui doivent former progressivement son équipe, les bonnes solutions."
Selon moi, la légitimité d'un-e chef-fe de service est triple.
a) une légitimité institutionnelle, sanctionnée par le vote du budget de la Ville. Le Conseil général est souverain pour supprimer un poste ou exiger la création d'un autre; en général ces questions se traitent en commission financière, chargée de préparer un rapport pour la séance de décembre consacrée au budget. Je sais de quoi je parle puisque j'ai présidé cette commission de septembre 2007 à avril 2008. Elle doit aussi, à travers des sous-commissions internes (3 membres pour chacun des dicastères), contrôler le bon fonctionnement des services. Depuis les élections je fais plus partie de cette importante commission (pour des questions compréhensibles d'auto-récusation), ce qui me donne paradoxalement plus de liberté de parole et d'action : je ne sais pas aujourd'hui si je voterai le budget 2009.
b) une légitimité de compétence, le savoir-faire professionnel nécessaire à l'exercice de la fonction. Pour mémoire évoquons le cas de la directrice de la Bibliothèque de la Ville qui avait succédé à Fernand Donzé : son passage fut de courte durée.
c) une légitimité relationnelle, éthique pourrait-on dire, qui s'ouvre au savoir-être : comment le chef de service se comporte et agit avec ses supérieurs et ses subordonnés.
a) La légitimité institutionnelle
Commençons, sans vouloir du tout faire de la provocation, par défendre la légitimité institutionnelle de FE. Le CC a décidé la création de ce poste en juin passé et le Conseil général l'a accepté tout en trouvant cependant peu défendable qu'il soit réparti sur le buget du personnel de chaque musée. Vous pouvez consulter les extraits du PV du Cg du 13 décembre 2007 en cliquant ici , en ouvrant le document Le procès-Verbal et en lisant les pages 11, 26 et 104. On peut supposer que le budget 2009 créera une ligne budgétaire propre au poste si le CC s'aventure (au risque d'être écrasé par sa masse marbrée) à le maintenir comme tel: on saura ainsi exactement combien on dépense pour ce poste de haut fonctionnaire.
FE, de surcroît, a toujours été claire sur deux points. Peut-être, disait-elle au début 2008 dans une séance de la commission culturelle où je siégeais, que "mon rapport montrera que mon poste est inutile". Elle l'a redit dans L'Impartial mais ce n'est pas l'impression dominante de RIMUS qui sabre le mousseux toutes les trois pages pour FE. Il est injuste de dire que FE a construit son rapport à sa propre gloire; c'est assurément la patte d'un scribe ou correcteur du CC.
Secondement, FE a vite compris que les conservateurs étaient "exploités" (terme utilisé par elle lors de cette fameuse commission culturelle). Ils font de tout : ils "conservent" (responsables des collections, proposant des acquisitions, organisant ou concevant des expositions), surveillent que les nettoyages sont bien faits, engagent des vacataires de surveillance et d'accueil, achètent du fromage pour un vernissage, se lèvent à 2 h. du matin quand il y a une fausse alarme et que leur concierge est en vacances. On est donc bien d'accord qu'une profonde réorganisation des musées est indispensable pour rationaliser les tâches et permettre surtout aux conservateurs du MBA, du MHNC et du MH, d'exercer mieux ce pour quoi ils sont formés.
Disons-le aussi, ce rapport contient quelques bonnes pages, fruit d'un travail de fourmi exploratrice et d'observation sur le terrain. Tous les membres du personnel ont été auditionnés par FE qui a la meilleure vision globale que le CC ait jamais eue à sa disposition. L'identification des améliorations possibles dans le secrétariat, la communication, les activités pédagogiques, le "service aux visiteurs", la gestion du personnel est assez bien pointée. Jusqu'ici le CC ignorait tout de cet univers protéiforme.
Toutefois, premier hic, première veine de résistance dans le granit, le rapport prétend aussi donner des recommandations dans la gestion des collections, la recherche scientifique, et même dans le choix des expositions. Le "politique" - nous, les commissaires et les élus - s'attendait et espérait toute autre chose, une plus grande limitation des attributions de la cheffe, un poste administratif. C'est le débat qui déchaîne les passions depuis presque un mois, la prétendue intrusion du "politique" dans le "culturel", alors qu'elle a toujours existé puisque les musées sont des institutions publiques (cf mon article Goya et la lettre de l'ICOM et AMS)
Encore faut-il garantir la liberté culturelle du conservateur. Il doit proposer et choisir avec la légitimité scientifique qu'on lui reconnaît. S'il veut acheter un Mosset plutôt qu'un Kaiser, que a commission le suive, de facto le CC !
Terminons ce tour de piste des quelques bonnes lueurs de FE en évoquant ses remises en question assez toniques de fausses vérités. Il n'est pas aberrant d'imaginer que la partie administrative commune des musées soit en dehors d'eux. L'immeuble communal Musées 24, à rénover, serait le lieu idéal. Il est admissible aussi de critiquer le thème fédérateur du temps, dont j'ai une fois parlé.
Bref, en décembre 2007, dans le rôle de cheffe de projet d'une refonte administrative, FE avait une légitimité institutionnelle même si Nicolas Babey, dans L'Impartial du 17 octobre, pense qu’il était exclu que la personne qui mène [les] entretiens soit la supérieure hiérarchique des acteurs concernés.
b) La légitimité professionnelle et de compétence
On a beaucoup médit et glosé sur FE depuis novembre 2007. Avec les 108 pages de RIMUS, rédigées presque en totalité par FE, on peut porter un jugement. Devant nos yeux, nous écrasant de leur masse hiératique, quatre grosses pierres de résistance, granit brut(al), nous (l') écrasent.
La première pierre brut(al)e relève de la responsabilité du CC et de JPV en particulier, d'avoir voulu que FE fasse "un arrêt sur image" sur les musées. A ce titre, la séance de la commission du MBA, le 9 janvier 2008, fut anthologique. FE, soutenue mordicus par JPV, nous a asséné qu'elle avait " le droit de tout penser ". "Pour des idées nouvelles, il faut être libre" : grande profondeur philosophique qui a fait sursauter la présidente Corthésy. Et toute l'histoire du MBA ? J'ai bien essayé de montrer qu'il n'y a pas de liberté sans contrainte, rien n'y a fait. Cette illusion totale de la liberté sans contrainte, sans savoir comment et vers quoi ou qui on tournera la caméra a évidemment produit des monstruosités, des erreurs. Catherine Corthésy avait d'ailleurs eu ces mots prémonitoires le 9 janvier 2008 : "Quand on ne sait pas vers quoi on va, on se fait des fantasmes sur les choses."
La deuxième pierre brut(al)e est la méconnaissance complète de la réalité culturelle chaux-de-fonnière, effet de la pensée vide de contrainte. Un exemple criant : ce n'est que très récemment, début septembre, que FE a cru utile d'avoir un rendez-vous dans le cabinet du docteur Claude-André Moser, président de la Société des Amis du MBA et nouveau conseiller général radical. Elle ne connaissait pas précisément la convention essentielle liant notre société des amis et la Ville. ! Qu'a-t-elle fait alors pendant 10 mois? C’est vrai qu’elle affirme que le musée doit être un "lieu vivant qui ne regarde pas vers le passé mais vers le futur". Madame Evéquoz, la SAMBA possède une grande partie des collections du MBA, fruit d’un très long passé et dans un futur proche, si le CC et vous-même persistez dans la volonté de mettre au pas le MBA, eh bien, nous réagirons.
Droit de tout penser, droit de tout dire : le dérapage est vite arrivé qui fait peser sur nous la troisième pierre brut(al) de FE : sa méthode de travail. Ethnologue de formation, elle met en avant le savant concept ethnologique d'observation participante, chère aux "situations typiques d'une enquête ethnographique sur le terrain." Cette position, en soi pertinente, aurait pu être productive et enrichissante mais chacun sait que Claude Levi-Strauss n'est jamais allé dire aux papous qu'ils avaient des moeurs sexuelles rétrogrades. FE ne parvient jamais à rester objective, à la bonne distance de la réalité qu'elle observe. Pourtant, elle devrait savoir que tout "travelling est affaire de morale", comme disait Godard. Elle a, c'est ici la plus incompréhensible négligence du COPIL, pu laisser dans le rapport une partie strictement personnelle de plusieurs dizaines de pages. Un vrai brouillon de "liste de projets et extraits de discussions depuis 40 ans". Rien que le titre laisse entendre qu'on a blablaté huit lustres sans rien foutre de concret dans cette petite ville de merde. FE a pu sans vergogne et avec la bénédiction du COPIL et du CC fouiner dans des procès-verbaux de discussions internes aux commissions ou même dans les PV du CC. Claudine Stähli a eu les justes mots d'indignatrion sur ce laisser-faire. A côté de ce fouillis de citations déconnectées de leur contexte, indigne d'un lycéen, une seconde colonne de "commentaires" où notre ethnologue devient moraliste, bien pire, juge et coupeuse de têtes : la pierre lapidante. C'est le glissement de l'objectif vers le subjectif, rien de moins scientifique.
Premier exemple, à la page 57 où notre donneuse de leçons cite une réflexion faite sur le rôle du MH: « Contribuer à une meilleure compréhension de l’histoire de notre région; stimuler la réflexion sur des sujets d’actualité en apportant un éclairage historique; participer à la vie sociale et culturelle d’une région"
Commentaire de FE : Le musée participerait à la vie sociale et culturelle d’une région. Mais il n’y a pas d’explication comment et avec quels moyens ni ce que veut dire participation à la vie sociale. Pas d'explication supplémentaire, seulement une affirmation gratuite faisant fi du travail du MH depuis 27 ans. Modestement, il a conçu d'innombrables expositions avec des acteurs sociaux de notre cité : partis ou groupes politiques, communautés religieuses, associations sportives et culturelles, syndicats, collectionneurs et j'en passe. Un modèle d'action sociale d'une institution culturelle très limitée dans ses moyens.
Second exemple, à la page 79 où FE cite un extrait d'une discussion au Conseil général, en avril 2004 sans dire qui parle (un conseiller communal, général ?) ni dans quel contexte, du pur copier-coller : "Notre ville a effectivement la chance de posséder des institutions culturelles de très haut niveau qui sont reconnues par leur qualité, non seulement en Suisse, mais bien au-delà de nos frontières. Nous avons un magnifique parc ainsi que trois musées d'une valeur importante, qui présentent tous les trois un aspect culturel et surtout un aspect architectural"
Commentaire de la pierre brute: "répétition de vérités dont la véracité n'est pas prouvée. La Chaux-de-Fonds est en ligue B et pas en ligue A au niveau des musées".
La métaphore sportive en dit long sur le rôle d'un musée; en cautionnant ce type d'arguments, le CC dévalorise ses propres institutions dans la perspective d'une vision concurrentielle. Je n'ai pas entendu parler le CC ainsi à propos de l'hôpital.
Parlons encore de l’interview à L'Impartial du samedi 27 septembre où FE affirme : "Tout ce que l’on produit aujourd’hui sera le patrimoine de demain. Que garder? On doit se poser la question. Est-ce à un conservateur, tout seul, de décider? Ou pourrait-ce être un choix de la collectivité? Cela ne veut pas dire qu’on devient stalinien!". Autrement dit, c'est le CC, en vertu de choix politiques sur la valeur du patrimoine à conserver, qui dira s'il est plus juste de dépenser 10'000 francs pour un monochrome d’Andreas Christen ou pour une toile réaliste d'un peintre local. Voilà ce que serait, avec une directrice comme FE, l'intrusion concrète du politique dans le culturel. Et que le CC ne vienne pas nous dire qu'on a mal compris son rapport puisque c'est FE qui parle.
4) Le dernier de mes coups de marteau sur cette pierre brut(al)e (qu'elle aura de la peine à s'alléger et s'ouvrir comme les Chillida !) a trait à ce que j'appelle la choucroute conceptuelle de FE, en certaines occasions.
Exemple 1, page 55 : "On parle aussi d’éthique des collections. Il faut respecter les donateurs, affirme un rapport que FE cite. Cela signifie qu’un donateur exigeant, par exemple Madame Junod, que sa collection soit en permanence exposée, doit être respecté dans ses voeux.
Commentaire fumeux de FE : "On parle d’éthique des collections – mais pas d’éthique pour atteindre les visiteurs, pour plaire au public, pour atteindre de nouveaux publics. Ici à nouveau, on sent une grande tragédie, il faut respecter les donateurs. Mais il n’y a pas de stratégie de donation (pour ne pas blesser les donateurs), finalement on donne le pouvoir aux donateurs et ce sont eux et pas les musées ou le politique qui prennent les décisions." La choucroute est suffisamment garnie pour se passer de mes commentaires.
Exemple 2, page 97 : "Le public n’est pas la préoccupation des musées de CDF alors que les musées ont une mission publique".
La mission publique des musées n’est pas seulement d’attirer du public mais aussi de conserver le patrimoine. La confusion entre le nom et l'adjectif est infantile.
A ce stade de mon analyse, j'en conclus que scientifiquement et méthodogiquement FE n'a pas la légitimité intellectuelle (au sens d'ailleurs du code de déontologie de l'ICOM) pour prendre la direction des institutions muséales. Un bloggeur a d'ailleurs fait une analyse sur ce sujet. Les effets désastreux du rapport, (donc de FE) dans les milieux culturels locaux et nationaux ternissent gravement l'image de La Chaux-de-Fonds, une ville éloignée des grands centres mais très pointue, exigeante, audacieuse dans sa politique culturelle jusqu'à ce funeste mois de septembre.
Il resterait donc, pour sortir de l'immobilité de la pierre, à savoir si FE serait d'accord de s’intégrer au «processus comme personne ressource, à l'instar d'autres acteurs » comme le suggère Nicolas Babey ou de se cantonner dans un strict rôle de gestion et de coordination administratives, elle qui, le premier jour de son entrée en fonction, le 1er novembre 2007, affirmait qu'elle "n'était pas là pour faire de l'administration." Ceci est un autre débat, politique.
c) La légitimité éthique et relationnelle
Le dernier bloc de résistance de FE, c'est son désir, dans le sens spinoziste. L'homme est un être de désir (bien sûr pas dans l’acception sexuelle). Pour le grand philosophe du XVIIe siècle, chaque homme doit persévérer dans son être, et conduire, c'est le sens de l'Ethique de Spinoza, sa vie pour générer, chez lui et chez les autres, de la "joie". FE, comme une pierre sous cloche, génère des "passions tristes" (terme spinoziste).
A-t-elle le désir de notre ville, l'aime-t-elle, a-t-elle du désir pour ses gens, les musées, ses subordonnés, ses collègues, ses chefs?
Il ne suffit pas d'être à l'aise dans un comité de pilotage pour qu'une haute fonctionnaire de la classe 15 (150'000 francs par an) soit légitime humainement et relationnellement . Les attitudes, postures, réactions, remarques de FE peuvent faire souffrir ou sont incompréhensibles, selon le point de vue où on se place : l'a-t-on vue lors de la nuit des musées, la voit-on lors des vernissages des musées qu'elle dirigerait, y excuse-t-elle ses absences, trouve-t-elle dans la "morosité" de cette ville une beauté, un esprit, un plaisir à vivre, fréquente-t-elle les lieux culturels, bref, "habite-t-elle" cette ville ?
A elle de l'affirmer aux personnes qu'elle côtoie dans son travail, à ses collaborateurs, aux membres des commissions. Une seule question reste en fin de compte à poser à FE: avez-vous le désir de travailler pour cette ville, avec (et non contre ou au-dessus d’eux) les gens qui l’aiment ?
Comment, en conclusion, faire parler ce granit, comment ce granit peut-il parler pour qu’on puisse l’écouter ? Comment FE pourrait-elle donner une forme moins fermée à ses valeurs et à son désir ? Elle devra répondre ces prochaines semaines ou aura déjà répondu quand cet article aura paru. Aux autres acteurs du processus d’essayer de tailler, de creuser dans ces noeuds de résistance ou de distance à soi.
Je reste aujourd’hui, le 19 octobre, ouvert à ce creusage de la matière granitique brut(al)e et me distancie de ceux qui demandent sa démission ou son largage. Il y en a beaucoup, avec des marteaux-piqueurs.
Le bloc 4 : le bloc de lave des musées
Mon texte est une éruption de soutien pour les musées et affirme que dans leur coulée et leur parcours depuis 2006, ils ont pris de la légèreté, sculpté une nouvelle image d’eux-mêmes. Deux conservateurs sont des nouveaux venus au tempérament volcanique.
Il y a eu par le passé beaucoup de blocs de résistance que nous examinerons, ils existent encore, moins figés que le CC l’imagine et nous allons esquisser comment ils ont été travaillés avec des ciseaux respectueux.
Fin septembre, les musées auraient pu entrer en résistance dans leur cratère, les conservateurs et leurs commission se mettant en burn-out institutionnel. Colère de feu qui les auraient consumés. Au contraire leur communiqué de lundi 6 octobre ("nous maintenons toute notre confiance dans notre Conseil communal qui a démontré à de nombreuses reprises son empathie et son respect de la personne humaine. Nous l’assurons donc de notre entière collaboration en souhaitant sincèrement que le dialogue sera rétabli afin de partir sur de nouvelles bases") est fin et modéré. L’empathie, le respect de la personne, le dialogue représentent tout ce qui leur a manqué et qu’ils désirent.
Comment est-ce que je vois, de l’intérieur où je suis à mon corps défendant, les blocages institutionnel, idéologique et psychologique de nos chers musées ?
Par « Musée », il faut entendre le conservateur, les commissions et les sociétés d’amis. Pour LK, cela fait quinze centres de décision pour la gestion de quatre musées en plus des avis donnés par la commission culturelle.
Quel mal à cela ?
Le CC technocratique est déstabilisé par cette pluralité de voix de passionnés et de bénévoles qui, au contraire, sont chacune des petits ciseaux taillant la pierre, modelant leur musée qu’ils aiment. Nicolas Babey définit magnifiquement ce qu’est un processus participatif : "Cette démarche s'appuie sur trois postulats principaux. Ce sont des principes que l'on suppose acquis avant le démarrage du processus. Dans le cas des musées chaux-de-fonniers, on posera premièrement que les conservateurs, les collaborateurs et les membres des commissions connaissent mieux que personne la problématique générale des musées. Deuxièmement, on postulera que ces mêmes acteurs sont parfaitement conscients des qualités et limites des structures et sont porteurs de propositions, quand bien même elles peuvent être contradictoires. Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, on tiendra pour acquis que ces acteurs sont de bonne volonté".
RIMUS a nié, jugé, oublié, méprisé, blessé toutes ces bonnes volontés, et paradoxalement, les a encore davantage fusionnées : fusion de la lave en colère, fusion dans l’unité de la résistance au mauvais mousseux : champagne aux « Musées » !
Soyons pourtant critique sans voiler les résistances passées, propres à chaque musée.
Le MIH était, et est encore une institution à 3 têtes (un « triumvirat », dit RIMUS de façon méprisante) et plus puissante, croit-elle, que les autres. Est-ce pour autant le droit de plus fort qui fait force de loi, accompagnée d'un certain dédain à l'égard de l'autorité politique ? Que de fois le CC a dû lui dire son fait : le droit du plus fort de participer aux séances avec les 3 conservateurs (3 + 1 + 1 + 1), la nécessité, toujours pas respectée pour d’apparentes bonnes raisons financières, d’offrir la gratuité aux gens d’ici le dimanche matin toute l’année et pas seulement à la saison creuse. Apprendre la loi de l’égalité n’est pas facile pour la « Tate Gallery » de l’horlogerie et Claudine Stähli s’est employée plus d’une fois à lutter contre cette suffisance figée. Le MIH est venu progressivement à plus de considération envers les autres et a définitivement renoncé à une OPA massive et bloquante sur le MH dans lequel, en 2006, il proposait d’installer le centre administratif des musées et sa propre bibliothèque !
Le MBA sous Edmond Charrière, soutenu par une partie de la commission, a construit son parcours avec un purisme culturel qui craignait le politique comme la peste, d’où les innombrables conflits, toujours courtois d’ailleurs, qu’il a eus avec certains conseillers communaux et avec ces deux premiers présidents, dont moi. Cette défiance a fini par exaspérer. Lada Umstätter cherche également, parfois trop et avec quelques maladresses, à préserver son pré carré. D’un côté Charrière a parfaitement compris, sculpteur habile des dernières années de son mandat, qu’il fallait être plus stratégique dans le choix de certaines expositions « patrimoniales ». Lada, avec T’as vu chat, poursuit sur cette voie mais ne transigera pas si le « politique » veut faire du MBA un conservatoire du patrimoine uniquement.
Le Musée d’histoire naturelle (MHNC) a profité et souffert en même temps de la figure patriarcale de Marcel S. Jacquat. L’initiale du second prénom dit psychologiquement tout de cette puissance rayonnante et solaire qui a parfois fait le vide autour d’elle, laissant trop dans l’ombre sa commission et sa société d’amis, surtout au moment où il aurait fallu avoir des appuis pour soutenir le très cher premier projet du Naturama à 14 millions. Son successeur, Arnaud Maeder, s'il témoigne des même compétences que son prédécesseur, n’est heureusement pas son fils spirituel. Sa compréhension des subtils mécanismes culturelo-politiques tranche avec la vision sans pitié que son prédécesseur avait et a encore du monde politique (cf sa très ferme intervention sur le blog sauvonslesmusees).
Le Musée d’Histoire (MH) a longtemps manqué de soutien et sa société d’amis n’existe que depuis 2000. Très active et dynamique, elle en fait bien plus que les autorités qui n’ont jamais proposé voté un crédit, même modeste, de rénovation ou d’amélioration de la muséographie. Cette faiblesse chronique du petit s’est sculptée progressivement en affirmation de soi sous-tendue par la perspective de l’inscription Unesco. Celle-ci rend incontournable la création d’un centre d’interprétation urbaine visant à montrer que l’horlogerie a une histoire humaine, sociale, culturelle et idéologique. C’est au MH de sculpter cette pierre.
Il est temps de conclure,
de fermer pour neuf mois ce blog-bloc
qui finissait par devenir pesant.
J’ai besoin d’un intervalle
sabbatique
dans la masse de mon quotidien …
J'irai vivre ici :
tous les blocs - basalte, marbre, granit et lave -
des monstruosités goyesques
aux écoutes chillidiennes.
Que l’entité se construise
dans les interstices qu’il faudra creuser,
dans les espaces possibles à ouvrir.
Que de l’air passe dans les masses.
Escuchar la piedra,
écouter la pierre,
j’y crois encore
et vous offre,
en souhaitant vous retrouver peut-être en septembre 2009,
ce diaporama chillidien.